par al » Mar Mai 16, 2006 4:20 pm
Voix
Afin d’écarter certaines velléités chez ceux qui ont encore une fâcheuse tendance à imaginer un Moyen Âge «rustique, austère, grossier, balourd, béotien, ignorant, pauvre, vulgaire, etc. etc… » en matière de technique de chant (pour ce qui nous intéresse ici, mais idem dans bien d’autres domaines…).
Sur les pratiques et les goûts médiévaux en matière d’esthétique sonore, voici un exemple concernant le chant grégorien :
«Les voix claires (perspicoe voces) sont celles qui s'étendent bien, et qui remplissent l'espace comme le son des trompettes. Les voix fines (subtiles voces) sont celles où il n'y a pas de souffle, comme une voix infantile, ou de femme, ou de malade, comme dans un instrument à cordes. Leurs cordes toutes fines en effet donnent des sons faibles et grêles. Les voix grasses (pingues voces) sont celles où il y a beaucoup de souffle, comme dans les voix viriles. La voix aiguë (acuta vox) est faible et haute, comme on le voit dans les cordes. La voix dure (dura vox) est celle qui émet un son violent, comme le tonnerre, ou comme l'enclume lorsqu'un marteau frappe durement le fer. La voix âpre (vox aspera) est rauque, et se dissipe en un grand nombre de sons discordants. La voix aveugle (coeca vox) est celle qui s'éteint dès qu'elle est émise, qui s'étouffe et ne résonne pas longtemps, comme dans les percussions. La voix douce (vinnola) est légère, molle et flexible; elle est ainsi appelée de vinno, c'est-à-dire concinno mollet flexo: chant doucement infléchi. Mais la voix parfaite est haute, suave et claire: haute pour qu'elle puisse atteindre les tessitures aiguës, claire pour qu'elle comble les oreilles, suave pour caresser les âmes de ceux qui écoutent. S'il lui manque une de ces trois qualités, ce n'est pas une voix parfaite »
Saint Isidore de Séville - Étymologies, livre III, VIIe siècle.
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«Voix puissante mais suave, virile mais aiguë, tel est l'idéal médiéval. Ainsi nous voyons que pendant tout le Moyen Âge les voix graves sont boudées, même dans la polyphonie, avant que la nouvelle esthétique du XVe siècle ne les découvre pour en faire un élément indispensable de l'architecture musicale».
Luca Ricossa - «Guide de la Musique du Moyen Âge» - Fayard 1999 - (extraits)