Instrument savant destiné à l’enseignement, l’organistrum regroupe un grand nombre de nouveautés technologiques.
Il matérialise deux inventions importantes : l’archet perpétuel, la roue, et le clavier adapté à un instrument à cordes.
Ces innovations, attestées à partir de l’an 1100, sont une réponse nouvelle aux besoins de diffusion de l’apprentissage du chant religieux. L’archet perpétuel permet de donner sans interruption la basse soutenant les longs mélismes.
Les trois cordes permettent les formes de polyphonies romanes : l’organum ou diaphonie, encore appelée déchant.
(accord relatif)
Le clavier, disposé selon les intervalles attribués à Pythagore, permet de chanter une mélodie inconnue à partir du moment où elle est écrite.
Deux musiciens étaient nécessaire pour pouvoir en jouer.
Le principe de fonctionnement du clavier, par translation, exigeait une main par note émise. L’un tournait la manivelle actionnant la roue, tandis que l’autre agissait de ses deux mains sur le clavier.
La polyphonie
Le chant n’était utilisé que comme partie intégrante de la liturgie ; les chantres se soucièrent de l’efficacité pédagogique et se donnèrent des inventions techniques remarquables.
Au sein de l’Eglise, les craintes réitérées au cours des siècles par les censeurs se réalisèrent, le caractère esthétique de la musique prit le pas sur la louange divine. L’invention qui révolutionna la musique et ouvrit l’ère des compositeurs fut la polyphonie, l’art de chanter à plusieurs voix. Ce fut d’abord un phénomène très marginal de pratiques expérimentale. Encore au XIe siècle, Jean Cotton d’Affligem craignait d’ennuyer le lecteur s’il en parlait, et précisait « les uns font d’une façon, les autres différemment ».
Au début du Xe siècle, la Musica Enchiriadis donna un exemple de diaphonie. Ogier retrouve les sensations de Paul de Samosate et remarque l’harmonie convenable de diverses voix lorsque les hommes, les femmes et les enfants croient chanter à l’unisson et exécutent l’octave et la double octave. Ce sont là des redécouvertes, les Grecs admettaient déjà trois intervalles consonants (l’octave, la quinte et la quarte), auxquels ils adjoignaient deux douces dissonances (les tierces et les sixtes majeures). L’auteur appelle cette diaphonie Organum, elle consiste en une marche parallèle de voix distantes d’une quarte, soit en l’ajout d’une voix organale sous le chant principal, une voix de basse dirait-on aujourd’hui.
Après la Musica Enrichiriadis, aucun traité ne parla plus d’organum avant Gui d’Arezzo (1025). Un exemple du chapitre XIX du Micrologus montrait l’évolution par rapport à son prédécesseur et préfigurait l’avenir, en utilisant la voix principale comme basse. L’école de l’abbaye Saint-Martial-de-Limoges utilisera ce principe pour l’organum fleuri, technique polyvocale dans laquelle le chantre exécutait des guirlandes d’ornements au-dessus du chant. Mais la pratique de l’organum est clairement attestée dans le coutumier de Thierry qui séjourna à Fleury avant 1002 : « Aux grandes fêtes, chaque répons est chanté par deux frères. Le douzième est chanté par quatre frères en aube et chape en haut des degrés, deux d’entre eux, comme des élèves s’en tiennent au chant ordinaire, les deux autres comme des maîtres, se tiennent par derrière et font l’accompagnement, on les appelle organistes (c’est-à-dire ceux qui chantent la voix organale). Et la France se glorifie volontiers de cette sorte de chant tandis que l’Allemagne (Thierry est Allemand) le refuse stupidement. »
À la fin du XIIe siècle, l’organum se généralisa avec l’école de Notre-Dame (Ars antiqua). L’ère de la monodie et de l’arc en plein cintre céda la place ; les polyphonies de Léonin et celles à 3 ou 4 voix de Pérotin résonnèrent désormais sous des voûtes gothiques.
Photos et reconstitutions : Christian Rault